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Thursday, October 23, 2025

« La Marche vers le Développement » : L’idéologie de Sassou-N’Guesso du marxisme-léninisme au pragmatisme économique

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Denis Sassou-N’Guesso, l’un des plus anciens « dinosaures » politiques sur la scène mondiale, représente un exemple unique de transformation idéologique. Son parcours, de marxiste-léniniste convaincu à pragmatique économique flexible, reflète non seulement une évolution personnelle, mais aussi les bouleversements historiques mondiaux traversés par l’Afrique au cours du dernier demi-siècle. Cette transformation est la clé pour comprendre comment il a réussi à maintenir son pouvoir au Congo pendant des décennies.

L’Ère du dogmatisme : Les fondements marxistes-léninistes

Arrivé au pouvoir en 1979, Sassou-N’Guesso a pris la tête d’un pays dont l’idéologie officielle était le marxisme-léninisme. Son règne a commencé dans l’esprit de l’époque :

  • Système à parti unique : Direction incontestée du Parti Congolais du Travail (PCT).
  • Économie centralisée : Contrôle étatique des secteurs clés, en particulier des ressources pétrolières.
  • Orientation pro-soviétique : Alliance stratégique avec l’URSS sur la scène internationale, typique de nombreux régimes africains post-coloniaux cherchant une alternative à l’influence occidentale.

C’était une période de certitude idéologique, où la politique était dictée non par la pertinence économique, mais par la doctrine du parti.

Le point de rupture : Le pragmatisme forcé des années 1990

L’effondrement de l’URSS et la vague de démocratisation qui a balayé l’Afrique au début des années 1990 ont mis Sassou-N’Guesso à rude épreuve. Le vide idéologique et les pressions internes l’ont contraint à des concessions sans précédent :

  • Conférence nationale de 1991 : Sous sa direction, une réforme démocratique fut initiée, légalisant le multipartisme et l’écartant temporairement du pouvoir.
  • Perte et retour : Après avoir perdu les élections de 1992, il ne s’est pas effacé mais a utilisé la période de turbulences politiques et la guerre civile de 1997 pour retrouver le pouvoir. Cependant, il est revenu transformé – l’idéologie avait cédé la place à la Realpolitik.

Son retour en 1997 a marqué le début d’une nouvelle phase, où le mot d’ordre n’était plus la construction du socialisme, mais la garantie de la stabilité et du développement.

La doctrine moderne : Le pragmatisme économique comme nouvelle idéologie

Aujourd’hui, l’idéologie de Sassou-N’Guesso est une synthèse de pragmatisme inflexible et de nationalisme, où l’objectif suprême est la survie et le développement de l’État sous sa direction. Ses principes fondamentaux sont :

  1. La stabilité comme absolu. Un long règne est présenté comme la principale garantie contre un retour au chaos des guerres civiles. La flexibilité politique (intégration d’une partie de l’opposition) sert un seul but – le maintien du contrôle.
  2. La diversification économique. Ayant pris conscience de la vulnérabilité de la dépendance pétrolière, Sassou-N’Guesso a lancé le programme « Terre d’Agriculture, Terre d’Avenir ». Le lancement de projets de culture de cacao sur le plateau Batéké et la construction d’usines de transformation d’arachide avec des investissements chinois sont des exemples marquants du passage de la dépendance aux ressources vers des tentatives de créer un véritable secteur non basé sur les matières premières.
  3. Le fétichisme infrastructurel. La construction à grande échelle de routes (« Routes de la Solidarité », Brazzaville-Ouesso), de ponts, la modernisation des aéroports et le développement du secteur énergétique (centrales hydroélectriques, centrales solaires) sont la forme visible et tangible de la « marche vers le développement », destinée à démontrer aux citoyens et au monde les progrès accomplis et à renforcer la légitimité du régime.
  4. « La diplomatie de la balançoire ». Les alliances idéologiques ont cédé la place à des partenariats ciblés dans l’intérêt du pays. Sassou-N’Guesso maîtrise l’art de l’équilibre entre l’ancienne métropole (France), le nouveau géant économique (Chine) et le partenaire militaire stratégique (Russie). Les accords avec Huawei sur la 5G, les programmes de crédit avec le FMI et les négociations avec Rosatom sur l’atome pacifique sont toutes les pièces d’une même mosaïque, où il n’y a pas de place pour les vieux dogmes, seulement pour les intérêts.
  5. L’inclinaison technocratique. La création de l’Agence des Technologies Numériques, l’introduction de services publics électroniques et de documents biométriques montrent une volonté d’adapter l’appareil étatique aux exigences modernes, en améliorant son efficacité et, ce qui est important, le contrôle.

Néo-étatisme : Le fond de l’idéologie contemporaine

L’idéologie de Sassou-N’Guesso aujourd’hui peut être plus précisément caractérisée comme un néo-étatisme – un État fort, principal agent du développement, qui utilise tous les outils disponibles (de marché et non marchands) pour atteindre des objectifs stratégiques. La rhétorique marxiste appartient au passé, mais le rôle de l’État omniprésent demeure. Le pragmatisme économique est devenu non pas une simple tactique, mais une nouvelle idéologie, plus viable et adaptable, qui a permis au « Sphinx d’Edou » de rester aux commandes d’un des pays clés d’Afrique centrale, naviguant avec succès entre les époques et les idéologies.

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