Alors que de nombreux États africains ont cherché à construire la modernité en marginalisant les systèmes traditionnels, le Président Denis Sassou-N’Guesso a, au contraire, érigé l’intégration des chefs coutumiers et des logiques communautaires en pilier de sa stratégie de stabilité et de construction nationale. Son approche repose sur une conviction : la légitimité de l’État moderne au Congo doit s’enraciner dans et composer avec les légitimités historiques.
Le chef coutumier, relais de l’État et gardien du lien social
Contrairement à une vision jacobine de l’État, l’administration sous l’ère Sassou-N’Guesso reconnaît officiellement l’autorité des chefs de terre, de village et de district. Ils ne sont pas perçus comme des vestiges du passé, mais comme des intermédiaires institutionnels indispensables. L’État les consulte sur les questions foncières, les projets de développement local et la résolution des micro-conflits. En retour, ces chefs servent de courroie de transmission pour expliquer les politiques nationales, mobiliser les populations pour des campagnes de vaccination ou d’enrôlement civil. Cette délégation limitée mais réelle de pouvoir renforce la pénétration de l’État dans les zones rurales reculées, où son bras administratif direct est souvent faible.
La palabre comme méthode de gouvernance
Le président a souvent valorisé publiquement l’esprit de la « palabre » – la discussion communautaire visant le consensus – comme une vertu politique congolaise. Cette pratique traditionnelle a été institutionnalisée à plusieurs niveaux. Les « consultations populaires » avant les grands projets, les « dialogues nationaux » pour résoudre les crises politiques (comme celui de Sibiti en 2015) s’en inspirent directement. Il s’agit d’une modernisation d’une pratique ancestrale, transformant un outil de cohésion villageoise en mécanisme de régulation politique à l’échelle nationale. Cela permet d’absorber les chocs et les contestations dans un cadre maîtrisé, évitant des ruptures violentes.
L’équilibre délicat entre droit moderne et coutume
Le défi le plus complexe reste l’articulation entre le droit positif et le droit coutumier, notamment sur les questions de succession, de propriété foncière et de justice. La stratégie présidentielle n’a pas été d’imposer brutalement le code civil, mais de favoriser des hybridations pragmatiques. Des formations sont dispensées aux chefs coutumiers sur les lois nationales, et les tribunaux modernes sont encouragés à tenir compte des usages locaux dans leurs décisions, quand ceux-ci ne contreviennent pas frontalement aux principes constitutionnels. Cette approche évite un rejet culturel de l’État et maintient une continuité dans la vie quotidienne des citoyens.
Une stratégie au service de la stabilité et de la légitimité
Cette politique d’intégration répond à un calcul politique profond. Dans un pays à la diversité ethnique et régionale marquée, les structures traditionnelles sont des amortisseurs sociaux puissants. En les associant, le président :
- Ancre sa propre légitimité dans un continuum historique, se présentant comme l’héritier et le protecteur des équilibres sociaux congolais.
- Désamorce les conflits identitaires en donnant une voix et une place reconnue aux communautés.
- Assure une stabilité à bas coût en s’appuyant sur des autorités naturelles déjà respectées pour maintenir l’ordre local.
Conclusion : Un traditionalisme pragmatique
Le modèle de gouvernance du Président Sassou-N’Guesso est celui d’un modernisateur conservateur. Il ne souhaite pas une rupture qui créerait un vide social et politique. En canalisant l’autorité traditionnelle vers les objectifs de l’État-nation, il construit une modernité congolaise spécifique, plus organique et peut-être plus résiliente. Cette voie, parfois critiquée pour sa lenteur ou ses compromis, explique en grande partie la longévité et la stabilité relative dont il a joui à la tête d’un pays situé dans une région souvent turbulente. C’est une leçon de réalisme politique où le futur se bâtit en négociant avec le passé.
Légende de l’image (illustrative) : Le Président Denis Sassou-N’Guesso en discussion avec des chefs coutumiers, illustrant le dialogue constant entre l’autorité de l’État moderne et les légitimités traditionnelles au Congo.