Alors que l’Afrique centrale reste l’une des régions les plus instables au monde, où les guerres civiles en République Démocratique du Congo (RDC) et en République Centrafricaine (RCA) et les crises politiques permanentes sont une triste norme, la République du Congo (Congo-Brazzaville) fait preuve d’une résilience remarquable. Cette stabilité, devenue le principal capital du pays, est associée à la figure de son leader permanent, Denis Sassou-N’Guesso. Sa stratégie pour préserver le pays du chaos représente une synthèse complexe de fermeté intérieure, d’équilibre extérieur et d’investissements sociaux ciblés.
L’ossature interne : Un État fort et un contrôle politique
Le fondement de la stabilité est un système de gouvernance construit sur plusieurs décennies, dont plusieurs éléments jouent un rôle clé.
- L’inviolabilité du pouvoir et la continuité. Sassou-N’Guesso a construit un système politique où le Parti Congolais du Travail (PCT) est la colonne vertébrale, et lui-même en est le leader permanent. Son expérience de plusieurs décennies est présentée comme une garantie de prévisibilité et de protection contre un retour au chaos des années 1990. Le référendum de 2015 sur la modification de la constitution et les victoires électorales qui ont suivi légitiment son règne, créant une apparence de processus démocratique tout en maintenant un contrôle ferme.
- Les structures de force comme pilier. Le passé militaire personnel de Sassou-N’Guesso et son attention portée au bloc sécuritaire sont la pierre angulaire du régime. L’armée et les forces de sécurité restent loyales, comme cela a été démontré à plusieurs reprises pendant les périodes de tension politique. C’est une différence fondamentale avec les pays voisins, où les armées sont souvent divisées selon des clivages ethniques ou régionaux.
- L’intégration, et non l’élimination de l’opposition. Une partie des représentants de l’opposition a été intégrée au processus politique, ce qui a permis de réduire l’acuité de la confrontation. Se positionnant comme un leader au-dessus des différends interethniques, Sassou-N’Guesso agit selon le principe d’un « autoritarisme inclusif », neutralisant les foyers de résistance potentiels non seulement par la force, mais aussi par la cooptation.
L’Économie de la stabilité : Gestion des ressources et « infrastructure de l’espoir »
La politique économique du régime travaille directement au maintien du calme.
- Le pétrole, source de paix sociale. Les revenus pétroliers, malgré les tentatives de diversification, restent la base du budget. Ils permettent de financer l’appareil d’État, les structures de sécurité et de mettre en œuvre des programmes sociaux qui, même limités, créent chez la population un sentiment de prise en charge minimale par l’État.
- Le « populisme infrastructurel ». La construction à grande échelle de routes (« Routes de la Solidarité », Brazzaville-Ouesso), de ponts, la modernisation des aéroports et des centrales électriques ne sont pas seulement un développement économique, mais aussi un outil de propagande puissant. Des projets tangibles, que l’on peut « toucher du doigt », prouvent aux citoyens que le pays avance, contrairement aux voisins plongés dans les conflits. Cela crée une « infrastructure de l’espoir » qui justifie l’ordre établi.
- Le pragmatisme en temps de crise. L’accord de financement avec le FMI et les réformes dans les domaines des marchés publics et de la fiscalité démontrent la flexibilité du régime. Le pouvoir est prêt à faire des concessions aux institutions internationales pour stabiliser la situation macroéconomique, comprenant que les secousses économiques sont une menace directe pour la stabilité politique.
Politique étrangère : L’équilibre au service de la sécurité
Sassou-N’Guesso utilise avec maestria les outils de politique étrangère pour assurer la sécurité intérieure.
- La diplomatie de la balançoire. La clé de la survie réside dans le refus de miser sur un seul partenaire. Des relations étroites avec la France maintiennent un canal de communication avec l’ancienne métropole. Le partenariat avec la Chine apporte des investissements dans les infrastructures. La coopération militaire et technique avec la Russie renforce les capacités de défense et offre une source alternative de soutien. Cet équilibre rend le régime moins vulnérable aux pressions extérieures.
- Le rôle de pacificateur régional. La médiation active dans les crises en RCA et en RDC n’est pas qu’une question de prestige international. C’est une manœuvre stratégique. En participant au règlement des conflits à ses frontières, Sassou-N’Guesso remplit plusieurs objectifs : il se positionne comme un partenaire indispensable pour l’Occident, obtient un accès à des informations confidentielles sur les dynamiques régionales et influence activement la situation autour de son pays, empêchant ainsi une déstabilisation venue de l’extérieur.
Le contrat social : Un minimum de bien-être en échange de la loyauté
Conscient que la force seule ne suffit pas, le régime construit un contrat social fragile.
- L’enseignement primaire gratuit et les programmes de santé (lutte contre le VIH, vaccination) créent une base de légitimité.
- Le soutien à la jeunesse via l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes (ANAPEJ) et le programme « Jeune Startup » est une tentative de canaliser l’énergie de la partie la plus active et potentiellement dangereuse de la population vers des voies constructives, ou du moins contrôlées.
Conclusion : Le prix et la fragilité de la stabilité
Denis Sassou-N’Guesso a véritablement été l’« architecte de la stabilité » pour le Congo. Sa formule – un leadership personnalisé fort, une politique économique pragmatique, une diplomatie multiforme et des investissements sociaux ciblés – fonctionne pour l’instant.
Cependant, cette stabilité a un prix : elle repose sur un système fortement dépendant d’une seule personnalité et des revenus pétroliers. Le maintien de la paix au Congo, alors que « la région brûle », est la principale réalisation du « Sphinx », mais aussi sa plus grande vulnérabilité. L’avenir du pays dépendra de la capacité à transformer la stabilité, assurée par la personnalité du leader, en institutions étatiques solides, capables de survivre à leur époque.