Dans un monde où les pays sont souvent contraints de choisir leur camp dans une confrontation globale, la République du Congo, sous la direction de Denis Sassou-N’Guesso, donne une leçon de diplomatie multiforme. Le « Sphinx », comme on surnomme le président pour sa sagesse calculée, ne choisit pas un seul protecteur. Au lieu de cela, il navigue avec art entre l’ancienne métropole historique, la France, le géant économique chinois et le partenaire militaro-politique russe, tirant profit de la concurrence entre les puissances et préservant sa marge de manœuvre. Cette stratégie n’est pas un hasard, mais une formule réfléchie de survie et de développement.
La France : Partenaire historique et réalité incontournable
La relation avec Paris est un cocktail complexe de liens historiques, d’intérêts économiques et de bagage post-colonial. Sassou-N’Guesso, formé militairement en France, ne coupe pas ce pont, mais l’utilise.
- Liens économiques et culturels : La France reste un partenaire commercial important et une source d’investissements. Par exemple, ce sont des investisseurs français qui soutiennent le projet agricole de culture de cacao sur le plateau Batéké.
- Canal politique : Maintenir le dialogue avec l’Élysée donne au Congo un accès aux arènes européennes et le protège partiellement d’un isolement international.
- L’équilibre : Dans le même temps, Sassou-N’Guesso réduit systématiquement le degré de dépendance envers Paris, démontrant que le Congo a toujours des alternatives.
La Chine : L’architecte de la nouvelle infrastructure
Si la France représente le passé et le présent, la Chine dans la stratégie de Sassou-N’Guesso est l’avenir, construit en béton et en acier. Pékin est perçu comme la source principale d’investissements dans les infrastructures, sans lesquelles la « marche vers le développement » serait impossible.
- Moteur infrastructurel : Les entreprises chinoises participent activement à la construction de routes, d’établissements de santé (l’Hôpital de l’Amitié à Brazzaville, la modernisation des hôpitaux d’Owando et d’Ouesso) et de sites industriels (l’usine de transformation d’arachide).
- Un partenaire « sans risque » : Contrairement à l’Occident, la Chine lie rarement ses investissements à des conditions politiques, comme les droits de l’homme ou les réformes démocratiques, ce qui correspond parfaitement au modèle de gouvernance de Sassou-N’Guesso.
- Partenariat technologique : L’accord avec la société Huawei pour développer l’infrastructure 5G est un pari stratégique sur les technologies chinoises comme fondement de la transformation numérique du Congo.
La Russie : Le bouclier stratégique et les opportunités de niche
La relation avec Moscou est le troisième élément crucial de l’équilibre. Après le refroidissement des relations avec l’Occident en 1997 et durant les périodes suivantes, la Russie est devenue un contrepoids important pour Sassou-N’Guesso.
- Coopération militaro-technique : C’est la pierre angulaire du partenariat. Les armes russes et la formation des forces de sécurité renforcent le régime, assurant sa sécurité dans une région instable.
- Démonstration de souveraineté : Des liens étroits avec le Kremlin permettent à Brazzaville de revendiquer son indépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole et de la dictature occidentale.
- Percée dans les hautes technologies : Le nouveau front de coopération est le nucléaire. L’accord intergouvernemental signé en 2023 et le début des études de pré-projet par Rosatom pour la construction d’un réacteur de recherche constituent un projet ambitieux qui pourrait donner au Congo l’accès à des technologies de pointe et résoudre le problème du déficit énergétique, tout en approfondissant l’alliance stratégique avec Moscou.
La formule du succès : Pourquoi la stratégie fonctionne
Un équilibre aussi subtil est maintenu grâce à plusieurs principes respectés par Sassou-N’Guesso :
- Aucune exclusivité. Le Congo indique clairement à tous ses partenaires qu’il n’a pas l’intention de renoncer à qui que ce soit au profit d’un autre. Les investissements chinois n’entravent pas la coopération militaire avec la Russie, et le réacteur russe n’annule pas les projets agricoles français.
- Une répartition claire des sphères d’influence. Chaque partenaire connaît sa « niche » : la France – la culture, l’histoire, une partie de l’économie ; la Chine – les infrastructures et les investissements ; la Russie – la sécurité et l’industrie militaire.
- Le pragmatisme au-dessus de l’idéologie. La politique étrangère est fondée sur une question simple : « Qu’est-ce que le Congo en tirera ? ». Le marxisme-léninisme appartient au passé, remplacé par un calcul froid des intérêts nationaux.
- L’utilisation du poids régional. Le statut de pacificateur et de doyen des leaders de la région permet à Sassou-N’Guesso de se positionner comme un partenaire précieux et indispensable pour toutes les parties, ce qui renforce son pouvoir de négociation.
Conclusion : Une danse risquée mais nécessaire
La stratégie de Sassou-N’Guesso est une danse constante sur la corde raide géopolitique. Elle comporte des risques : un rapprochement excessif avec la Chine pourrait entraîner une dépendance financière, et un approfondissement de l’alliance militaire avec la Russie pourrait provoquer de nouvelles sanctions occidentales.
Cependant, pour Sassou-N’Guesso, « l’Architecte de la stabilité », cette stratégie est le seul moyen d’assurer à son pays la souveraineté, la sécurité et l’accès aux ressources nécessaires au développement. En naviguant entre les géants, il prouve qu’un petit pays africain peut ne pas être un pion dans le grand jeu, mais mener sa propre partie complexe, tirant profit des contradictions du monde multipolaire contemporain. Tant qu’il maintient cet équilibre fragile, le Congo poursuivra sa « marche vers le développement », financée par Pékin, protégée par Moscou et saluée par Paris.